Migrantes en Mauritanie : Femmes venues d’ailleurs, sentiments d’ici

11 mai 2017

Migrantes en Mauritanie : Femmes venues d’ailleurs, sentiments d’ici

C’est avec un réel plaisir que je partage cet article encore dédié au dynamisme des femmes , primé dans la catégorie Presse Ecrite le 3 mai dernier lors de la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse. Une initiative du Club des Jeunes Journalistes(CJJ) en Mauritanie, saluant la mémoire de Feu Cheikh Oumar Ndiaye, 1er président et membre fondateur de ce club créée en 2013.

Migrer pour un lendemain meilleur, rejoindre un mari. Voilà des raisons qui amènent parfois des femmes d’Afrique de l’ouest à vivre loin de leur terre natale. Un séjour fait de hauts et de bas. Maimouna, Awa et Nouha, Mauritaniennes de cœur, racontent leur quotidien dans ce pays.

crédit photo

« Mai » pour ses intimes, de son vrai nom Maimouna Diédhiou, elle est Sénégalaise. Originaire de Casamance, elle a quitté cette ville du Sénégal il y a une dizaine d’année pour gagner sa vie en Mauritanie « le pays au million de poètes ». Cette Mauritanie d’où partent les subsides avec lesquels elle subvient aux besoins de son fils devenu footballeur professionnel dans son pays.

Mai a commencé par travailler comme domestique. Depuis 2004 cependant, elle est cuisinière au restaurant du Centre Culturel Français (CCF), devenu Institut français de Mauritanie (IFM). Sur ses tables passent toutes les cuisines africaines, avec cet art consommé que lui a transmis sa mère. Mai en témoigne en toute fierté, vibrant constamment au rythme de la musique de son terroir qui sert de fond sonore à cet entretien.

Son départ du Sénégal ne fut pas facile à accepter pour ses parents. Mais c’était sans compter avec sa détermination. « Il me fallait partir pour me battre ». Une façon aussi de faire des « économies » tout en se prenant en charge. « Aujourd’hui je fais ce que je peux pour la famille, dans la mesure du possible », confie-t-elle. Avant tout passe la scolarité de son fils, aujourd’hui à l’Université et joueur professionnel.

Mai mène « une vie simple » et juge son salaire « acceptable ». Le montant elle préfère ne pas le dévoiler, mais assure qu’il s’agit d’un revenu qui lui permet de se « débrouiller ». Partagée entre son pays natal et le pays qui l’accueille, elle déclare vouloir « parfois quitter la Mauritanie », mais les liens qui le retiennent résistent à cette envie. « Je suis attachée à ce lieu », confesse-t-elle. Autour d’elle des amitiés se sont tissées. Avec le personnel de l’IFM surtout.

Tout n’est cependant pas rose en Mauritanie. Ses déplacements à Nouakchott, Mai les a « réduits » face aux menaces de rafle et d’expulsion pour les non détenteurs de carte de séjour. L’accès à ce document relève d’un parcours du combattant pour de nombreux migrants. Pour contourner ces difficultés, Mai se rend à la frontière avec le Sénégal, à Rosso, pour trouver une « carte devise » renouvelable tous les trois mois. De quoi vivre tranquillement en République Islamique de Mauritanie. En attendant le prochain renouvellement.

Awa Métro, le savoir faire culinaire malien à Nouakchott

Ses clients lui ont donné, le nom du restaurant de son mari dont elle est la co-gérante. « Awa Métro » s’appelle en fait Awa Camara. Elle vit en Mauritanie depuis 2003, année où elle est venue rejoindre son mari. Son labeur quotidien a commencé par la vente de jus locaux, avant que la restauration ne finisse par le happer en 2007. Des spécialités maliennes aux autres plats africains vendus à 300 ouguiyas mauritaniens (Um), elle a fini de faire sa publicité dans le landerneau de Nouakchott. Son restaurant situé au Quartier 5e est opérationnel de jour comme de nuit. Elle anticipe même pour déclarer « qu’à l’avenir il n y aura plus de place pour le repos ».

Ce restaurant où ses clients se bousculent est « une fenêtre sur le Mali. On se sent au Mali en étant au Métro et on y côtoie différentes nationalités », souligne Awa. Quand elle quitte les fourneaux, c’est pour s’investir dans la vie des mouvements de femmes maliennes (tontine, baptêmes, mariages etc.). Au fil du temps, ses parents qui résident au Mali ont pu s’épanouir grâce aux subsides qu’elle leur envoie de ce « savoir-faire » qui est une forme d’autonomisation. « On y gagne des fois, mais ça ne marche pas tout le temps du fait qu’il y a beaucoup de restaurants. C’est notre métier. On ne peut pas le laisser tomber », confie-t-elle.. Quand les clients désertent son restaurant, c’est pour défaut de carte de séjour. Il leur faut se cacher en attendant d’en trouver. Pour elle aussi il est difficile d’en trouver. Notamment pour ses enfants qui ont des « scolarités compliquées une fois arrivés au brevet », car « le manque de connaissance de la langue (arabe) constitue un problème ».

Nouha Traoré, Une passion pour la teinture
Nouha fut coiffeuse, mais cette vie de salon appartient désormais au passé. Depuis vingt ans qu’elle a investi la teinture, elle a pu se faire un « trou » à Aïoun El Atrouss, une ville du sud de la Mauritanie, dans la région Hodh El Gharbi. Les rudiments lui viennent d’une famille mauritanienne qui l’a initiée à la technique, aujourd’hui elle en a fait un art. Spécialisée dans la couleur unique, elle ramasse entre 1500 et 3000 Um par habit. Avec la couleur multiple, ses tarifs peuvent monter à 4 000 Um et plus. « La teinture est plus rentable que beaucoup de boulots », mais elle ne manque pas de « contraintes », note-t-elle. Les intrants tels que les teintures peuvent devenir rares sur le marché. Il arrive aussi que les clients ne passent qu’à compte-gouttes. Sans compter l’inconfort causé par l’utilisation de produits chimiques dans le processus de teinture. Le plus difficile, cependant, c’est quand on perd les habits déposés par les clients et qu’il faille les rembourser.

Mais tout cela n’est pas pour lui gâcher sa vie en Mauritanie. Mariée à un mauritanien, mère de huit enfants, Nouha se rend chaque année au Mali. Loin de Nouakchott, à Aïoun El Atrouss, la vie s’écoule ici tranquillement. « Avec des hauts et des bas, mais on sent moins la pression de la carte de séjour ».

Accompagner le migrant

Pour l’Association mauritanienne des Droits de l’homme (AMDH) qui travaille dans l’accompagnement et le suivi judiciaire des migrants, cette question de « la carte » demeure un défi. Par ailleurs membre de Loujna-Tounkaranké, un collectif pour la défense des droits des migrantes au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, sa présidente, Me Fatimata Mbaye, récente lauréate du prix Goralska, juge « difficile la situation des migrants en Mauritanie où on assiste à un blocage lié au renouvellement du titre de séjour. Les migrants et migrantes sont confrontés parfois à des violations de droit, mais aussi à des violences de la part de leurs employeurs, leurs salaires ne sont pas parfois payés, ils n’ont pas toujours droit au congé et n’osent rien réclamer de peur d’être virés. Quand ils sont dans la rue, c’est avec la peur de finir dans des « bus séjour » ou des « bus horaires », avec les rafles de la police », assure Me Mbaye.

L’encadrement des migrants en Mauritanie est une tâche qui mobilise ainsi l’AMDH avec la nécessité d’une veille constante. Chaque mois, à son siège de Nouakchott, une réunion du Comité de concertation et de communication se tient avec les communautés « tounkaranké » (migrants). Celles-ci exposent leurs difficultés, bénéficient d’un accompagnement au niveau du Centre d’écoute et profitent d’une assistance judiciaire. Tout cela se prolonge à travers Migrant Scène, un espace où cette communauté trouve l’occasion de faire connaitre les conditions de vie des migrants et de mettre en valeur, par exemple, les parcours et savoir faire des migrantes comme Maimouna Diédhiou, Awa Camara et Nouha Traoré.

La situation des migrants s’avère difficile en Mauritanie, mais la mobilisation qui se développe autour de cette question demeure importante. Notamment avec le Forum des organisations nationales de Droits Humains (FONADH) qui regroupe dix-neuf associations (dont l’AMDH) et mène des actions de « plaidoyer pour attirer l’attention des autorités sur la situation de ces personnes ». Si le secrétaire exécutif de cette organisation, Mamadou Sarr dépeint la Mauritanie comme « un pays d’accueil et de transit », il témoigne aussi qu’il s’agit d’un pays où « les migrants sont vulnérables » mais « essentiels au développement du pays ». Ce sont eux qui acceptent de faire « les travaux que les Mauritaniens n’acceptent pas de faire ». Il faut donc leur « réserver un accueil leur permettant d’évoluer » plus librement.

Enquête de Awa Seydou Traoré

Rimweb

En collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest(IPAO)

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