Migration : quête d’une vie meilleure, exploitation des petites filles domestiques maliennes par des familles d’accueil  et employeurs en Mauritanie

Article : Migration : quête d’une vie meilleure, exploitation des petites filles domestiques maliennes par des familles d’accueil  et employeurs en Mauritanie
Crédit:
31 juillet 2024

Migration : quête d’une vie meilleure, exploitation des petites filles domestiques maliennes par des familles d’accueil  et employeurs en Mauritanie

À la recherche d’une vie meilleure, beaucoup de jeunes filles maliennes, venant parfois de milieux pauvres, prennent la route pour venir tenter leur chance en Mauritanie, un Eldorado pour ces travailleuses domestiques. Une quête d’une vie meilleure qui n’est pas sans conséquences. Violences physiques, travail sans contrat, accusations de vols, salaires impayés ou en retard, certaines voient leur rêve tourner au cauchemar.

Selon des témoignages, les filles domestiques dont la plupart sont « mineures » subissent « des violences physiques, des accusations de vols, des travaux continus, parfois sans week-end, des salaires impayés ou retardés durant des mois ». Des domestiques dites sous contrat n’ont pas le droit de sortir de la maison, et vivent entre quatre murs en travaillant à longueur de journée. Face à des mauvais traitements, des filles fuient leur boulot en laissant dernières leurs bagages ou leurs salaires impayés.

Fatoumata Kamia, 14 ans, venue de Segou, situé à 240 km de la capitale Bamako, est l’ainée de sa famille. Elle s’était rendue à Nouakchott en 2020 pour subvenir aux besoins de ses parents et s’adonnait aux corvées familiales de son employeur sans week-end. Malgré tout, elle sera privée de salaires durant 2 ans dans une famille à Tevragh zeyna, une des communes de la capitale mauritanienne. Une période dont elle garde un mauvais souvenir, réclamant son dû sans satisfaction. Déçue, elle décida de fuir son lieu de travail et de rentrer au Mali sans avoir perçu son paiement.

Une migrante se souvient de Fanta Soumano, dont le salaire impayé s’élevait à 300 000 um. Ne sachant pas quoi faire, c’est par l’intermédiaire d’une amie que cette domestique a pu s’échapper de son lieu de travail. C’est un mois plus tard que son salaire lui a été restitué grâce aux efforts de l’Association des femmes Malienne Battantes en Mauritanie (AFMBM).

« Très souvent, par des contrats oraux et non écrits, elles se font engager pour 1 à 2 ans »

En quête d’une vie décente, ces jeunes filles viennent tenter leur vie ici, ignorant très souvent les nombreux risques auxquels elles peuvent être confrontées sur place.

On trouve notamment des domestiques dont le salaire est de 10000 à 15000 francs au Mali. Pour elles, travailler ici constitue « une source de revenus plus importante qu’au Mali ». La Mauritanie est alors perçue comme un Eldorado pour ces migrantes.

L’intermédiaire ici ou à Bamako, par qui les filles domestiques obtiennent un travail, trouvent son pourcentage sur le salaire des domestiques. Ainsi « ces intermédiaires s’arrangent avec l’employeur pour qu’aucune somme d’argent ne soit remis aux domestiques, des paiements qui se font au terme du contrat en général » nous confie Fatoumata Coulibabi, de l’Association des femmes Malienne Battantes en Mauritanie (AFMBM) dans la commune de Sebkha. Une militante confie que « très souvent, par des contrats oraux et non écrits, elles se font engager pour 1 à 2 ans ».

Des fois sans pièce d’identité, ces filles se lancent dans cette aventure par tentation. Une fois qu’un accord est trouvé sur le montant du salaire, l’employeur envoie en avance les frais pour les formalités du voyage qui dure 2 jours, de Bamako (la capitale malienne) à Nouakchott.

« Une fois ici, le téléphone des domestiques est confisqué, elles sont soumises à tous les travaux domestiques, vivent dans l’isolement, ne connaissent et rencontrent personnes et sont sans nouvelle de leur famille au Mali. Même en cas de difficultés, elles ne peuvent pas s’échapper, ne connaissant pas la ville » témoigne un travailleur migrant.

Actuellement, certains membres de réseaux d’envoi de ces filles « exigent le paiement de quatre mois de salaires en avance » nous informe un employeur qui déplore « le mauvais traitement des filles domestiques » par des employés et fustige le travail des filles mineurs : « cela n’est pas normal » lance-t-elle.

 « Violations systématiques » des droits des travailleuses domestiques

Selon le journal Tahalil hebdo, en décembre 2023, le Centre de Recherche et d’Action sur les Droits Économiques Sociaux et Culturels (CRADESC) a rendu public, à Nouakchott, une enquête sur les travailleuses domestiques, fustigeant l’état de « violations systématiques » de leurs droits.

Une enquête qui a été menée dans le cadre du projet d’appui stratégique aux travailleuses domestiques en Mauritanie (PASTDOM), en collaboration avec le Comité de Solidarité avec les Victimes des Violences des Droits de l’Homme en Mauritanie (CSVDH) et à travers un financement de la Fondation pour une Société Juste (FJS).

Ce site, se basant sur les données de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) de 2017, rapportait qu’il y avait en Mauritanie « 43.278 travailleuses domestiques, dont 29 657 femmes ».

Des réseaux de plus en plus affaiblis

Les réseaux de recrutement de ces jeunes filles ont été affaiblis par rapport à avant grâce au travail des ONG. Des activistes qui ont dénoncé « les pratiques qui se font et l’exploitation de ces filles » ont poussé à ce maintenant « les choses se font de façon déguisée, où des jeunes filles sont dans des familles et ce sont des cas de contrats » nous dit Salimata Koita, une ressortissante venue en Mauritanie il y a 5 ans.

« Celles qui viennent travailler par elles-même n’ont pas beaucoup de problèmes, elles quittent facilement un travail en cas d’inconfort, elles sont organisées et ont un leader parmi elles. » Ce dernier est notamment chargé de défendre leur paiement et leur droit en cas de besoin.

Des leaders qui peuvent avoir en charge le placement d’une centaines de domestiques et qui trouvent leur pourcentage de 5000um sur chaque salaire par exemple. Des leaders de groupe qui récupèrent le salaire des domestiques à la fin du mois, aident les filles dans l’achat d’habits et organisent leur retour au Mali, selon des témoignages recueillis.

La pratique a « diminué par rapport à avant grâce à la sensibilisation sur les risques de travail des mineurs sans connaissance de ses droits et devoirs » constate Fatoumata CoulibabliDes ONG aident également pour l’accompagnement juridique, précise cette source pour qui « beaucoup de gens commencent à comprendre, notamment les parents que nous avons touchés lors des causeries sur la question ». Elle appelle tout de même à la prudence : « Même si la pratique a diminué , elle continue en cachette ».

Le travail de ces filles domestiques migrantes est une source de bien-être familial, mais aussi une opportunité de business pour beaucoup de familles d’accueil et des employeurs en Mauritanie pour qui, souvent, « ces filles sont bonnes à tout faire », au détriment du respect de leurs droits.

Une démarche d’identification des personnes recruteurs de ces filles domestiques pourrait offrir un cadre de travail protecteur pour ces filles migrantes, selon des acteurs de la société civile mauritanienne.

Awa Seydou Traoré

Partagez

Commentaires